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2012-03-14 05:45:17
Ruskin – Modigliani: Le Scandale des Poils Pubiens
Exposition : Modigliani
Date : Nov 23, 2017 – Apr 2, 2018
Lieu : Tate Museum, London
Amedeo Modigliani naît à Livourne en Italie en 1884 et décède à l’âge de trente-cinq ans à Paris. De mère française et de père italien, il est élevé dans la foi judaïque et grandit ainsi au contact de trois cultures.
Modigliani fut un homme charmant et passionné qui eut de nombreuses liaisons amoureuses au cours de sa vie. Trois sources alimentent l’inégalable puissance visionnaire de l’artiste : sans renier son héritage italien classique, il comprend également la sensibilité et le style français, ainsi que l’ambiance artistique dense qui règne dans le Paris de la fin du XIXe siècle. De plus, il est marqué par la lucidité intellectuelle propre à la tradition judaïque.
Contrairement à d’autres avant-gardistes, Modigliani peint essentiellement des portraits aux formes étirées. Il leur donne un caractère étrange et ajoute une touche mélancolique qui lui est propre. Ses nus sont d’une beauté sublime et empreints d’un érotisme exotique.
En 1906, il s’établit à Paris, centre de l’innovation artistique et du commerce international de l’art. Là, il fréquente régulièrement les cafés et les galeries de Montmartre et de Montparnasse, lieux de rencontre des groupes d’artistes les plus divers. Très tôt, il se lie d’amitié avec Maurice Utrillo (1883-1955), peintre néo-impressionniste et alcoolique, et avec le peintre allemand Ludwig Meidner (1884-1966) qui qualifie Modigliani de « dernier vrai bohémien ».
S’il est vrai que sa mère lui envoie tout l’argent dont elle peut disposer, il est néanmoins souvent contraint de changer de domicile. Parfois, il doit même abandonner sur place ses oeuvres lorsque, incapable de payer son loyer, il quitte précipitamment les lieux.
Voici la description d’un des logis de Modigliani, par Fernande Olivier (1881-1966), la première maîtresse de Pablo Picasso à Paris, dans son livre Souvenirs intimes : écrits pour Picasso :
« Une estrade sur quatre pieds dans un coin de la pièce. Un petit fourneau rouillé avec une cuvette en terre cuite posée dessus ; à côté, sur une table en bois blanc, une serviette et un morceau de savon. Dans un autre coin, une caisse étroite et miséreuse, barbouillée de peinture noire, servait de divan. Une chaise en osier, des chevalets, des toiles de toutes les dimensions, des tubes de couleur éparpillés par terre, des pinceaux, des récipients pour l’essence de térébenthine, un pot contenant de l’acide nitrique (pour les gravures) et pas de rideaux. »
Modigliani est un des personnages éminents du Bateau-Lavoir, cette fameuse maison où de nombreux artistes, comme Picasso, ont leurs ateliers. C’est probablement à l’écrivain Max Jacob (1876-1944), ami de Modigliani et de Picasso, que le Bateau-Lavoir doit son nom. À cette époque, Picasso y peint Les Demoiselles d’Avignon, représentation radicale d’un groupe de prostituées qui marque le début du cubisme.
Au Bateau-Lavoir, d’autres artistes travaillent eux aussi au développement du cubisme, parmi eux les peintres Georges Braque (1882-1963), Jean Metzinger (1883-1956), Marie Laurencin (1883-1956), Louis Marcoussis (1878-1941) et les sculpteurs Juan Gris (1887-1927), Jacques Lipchitz (1891-1973) et Henri Laurens (1885-1954).
Les couleurs vives et le style libre du fauvisme jouissent alors d’une grande popularité.Modigliani fait la connaissance des fauves du Bateau-Lavoir, parmi eux André Derain (1880-1954), Maurice de Vlaminck (1876-1958) et le sculpteur expressionniste Manolo (Manuel Martínez Hugué, 1872-1945) ainsi que Chaïm Soutine (1893-1943), Moïse Kisling (1891-1953) et Marc Chagall (1887-1985).
Dans ses portraits, Modigliani représente nombre de ces artistes. Outre Max Jacob, d’autres écrivains sont eux aussi attirés par cette communauté, parmi eux Guillaume Apollinaire (1880-1918), poète et critique d’art (et amant de Marie Laurencin), le surréaliste Alfred Jarry (1873-1907), Jean Cocteau (1889-1963), écrivain, philosophe et photographe, dont la relation avec Modigliani est ambiguë.
Il y a aussi André Salmon (1881-1969). Celui-ci écrira plus tard un roman, qui sera adapté pour la scène, sur la vie peu conventionnelle de Modigliani (La Vie passionnée de Modigliani).
Femme de lettres américaine et collectionneuse d’oeuvres d’art, Gertrude Stein (1874-1946) et son frère Léo comptent également parmi les habitués du Bateau-Lavoir.Appelé « Modi » par ses amis (jeu de mots basé sur l’expression « peintre maudit »), Modigliani est convaincu que les besoins et les désirs de l’artiste sont différents de ceux des hommes ordinaires.
Il en déduit qu’il faut que sa vie soit jugée de manière différente ; théorie que lui inspire la lecture d’auteurs tels que Friedrich Nietzsche, Charles Baudelaire et Gabriele d´Annunzio.
Modigliani a des liaisons innombrables, boit copieusement et se drogue. De temps à autre pourtant, il retourne en Italie afin de voir sa famille et se reposer.
Dans son enfance, Modigliani souffrait d’une pleurésie et de la typhoïde, maladies dont il ne guérira jamais complètement. Le manque constant d’argent et sa vie instable et dissolue aggravent son état de santé déjà inquiétant.
Lorsque la tuberculose l’emporte, Jeanne Hébuterne, sa jeune fiancée, est enceinte de leur second enfant. Sans lui, la vie lui semble alors insupportable et elle se suicide le lendemain de sa mort…
Arcimboldo: La Grande “ABBUFFATA”: Une Tradition Italienne D’Arcimboldo à Marc Ferrari
Exposition: La grande bouffe : peintures comiques dans l’Italie de la Renaissance
Date: Oct 28, 2017 – Mar, 11, 2018
Lieu: The Musée Saint Léger in Soissons, France.
Arcimboldo
(1527 – 1593)
Fils de l’artiste Biagio Arcimboldo et de Chiara Parisi, Giuseppe Arcimboldo naquit à Milan en 1527. D’ascendance noble, la famille d’Arcimboldo est originaire d’Allemagne du Sud. Certains de ses membres s’installèrent en Lombardie dès le Moyen Âge. On découvrit de très nombreuses variations dans l’orthographe de leur nom : Acimboldi, Arisnbodle, Arcsimbaldo, Arzimbaldo ou Arczimboldo, le suffixe << boldo >> ou << baldo >> dérivant du germanique médiéval. De même, Arcimboldo signait son prénom de diverses manières : Giuseppe, Josephus, Joseph ou Josepho.
Dans son ouvrage Della nobilità di Milano, Paolo Morigia rapporta l’histoire de la famille d’Arcimboldo et confirma, même si les sources restent très incertaines, sa noblesse, en faisant remonter ses origines jusqu’à l’époque de Charlemagne, où un noble nommé Sigfrid Arcimboldo avait servi à la cour de l’empereur. Parmi les seize enfants Arcimboldo, trois furent anoblis et l’un d’entre eux s’installa en Lombardie. C’est ainsi que fut fondée la branche italienne. Pour soutenir ses dires, Morigia déclara que son récit émanait << directement de M. Giuseppe Arcimboldo, un gentleman digne de foi au mode de vie respectable >>.
Toujours dans le même ouvrage, Morigia continua à développer l’histoire de la famille Arcimboldo, mais en se limitant à la branche italienne résidant à Milan. Il déclara que le veuf Guido Antonio Arcimboldo, l’arrière-arrière-grand-père de Giuseppe, avait été élu archevêque de Milan en 1489, succédant à son frère décédé, Giovanni Arcimboldo. Entre 1550 et 1555, Giovanni Angelo Arcimboldo, fils naturel de Guido Antonio, régna en tant qu’archevêque de Milan, conseilla et guida Giuseppe parmi les artistes, les humanistes et les écrivains de la cour milanaise.
À Milan, Arcimboldo fut formé aux arts par son père et des artistes de l’école lombarde tels que Giuseppe Meda (actif à Milan de 1551 à 1559) et Bernardino Campi (1522-1591), un distingué peintre de Crémone.
Une certaine fascination artistique et scientifique pour Léonard de Vinci est également perceptible dans son art. En effet son père, Biagio, avait eu la bonne fortune d’être l’ami de Bernardino Luini, un élève de Léonard de Vinci, qui, à la mort de Léonard, hérita de plusieurs cahiers de notes et d’esquisses de son maître. Biagio Arcimboldo les étudia certainement et des années plus tard, enseigna à son fils Giuseppe, le style artistique et scientifique de Léonard.
Les artistes italiens, Biagio, Meda et Campi étaient en contact avec les artistes germaniques travaillant sur des projets destinés à la cathédrale de Milan ou encore créant des tapisseries pour la famille Médicis. D’après les archives de la cathédrale de Milan, Arcimboldo s’établit comme maître en 1549, travaillant avec son père à la peinture et à la conception de cartons pour les vitraux, les portes de l’orgue et le baldaquin de l’autel de la cathédrale. Les vitraux les plus importants, situés dans l’abside, illustrent les Histoires de la vie de sainte Catherine d’Alexandrie. La légende chrétienne se concentre sur le martyre de Catherine, qui refusa de renier sa foi chrétienne pour les dieux païens. La décoration de ces scènes était relativement élaborée, reposant sur une combinaison de motifs classiques (amphores, guirlandes et putti) et de symboles chrétiens (trônes, coquilles de Compostelle et parures de cérémonie).
La conception architecturale et ornementale reflétait l’illusionnisme de l’art et du goût maniériste. Ces formes démontraient également l’influence de Léonard sur Arcimboldo, acquise par le biais de l’art du Milanais Gaudenzio Ferrari (1471-1546), qui travailla lui aussi aux vitraux de la cathédrale. Un document des archives de la cathédrale de Milan, daté de 1556, mentionnait que les cartons d’Arcimboldo pour cette commande furent transposés sur verre par Corrado de Mochis, maître verrier à Cologne. À cette époque, Arcimboldo peignit cinq insignes emblématiques (aujourd’hui perdus) pour Ferdinand, roi de Bohême, futur Ferdinand Ier, empereur du Saint-Empire romain germanique…
Rodin – Rilke – Hofmannsthal. L’homme et son génie
Exposition: Rodin – Rilke – Hofmannsthal. Man and His Genius
Date: Nov 17, 2017 − Mar 18, 2018
Lieu: Staatliche Museen zu Berlin
« Les écrivains s’expriment par des mots… mais les sculpteurs par des actes. »
— Pomponius Gauricus, De Sculptura (vers 1504).
« Le héros est celui qui reste inébranlablement centré. »
— Ralph Waldo Emerson
Rodin était solitaire avant sa gloire. Et la gloire qui vint, le rendit peut-être encore plus solitaire. Car la gloire n’est finalement que la somme de tous les malentendus qui se forment autour d’un nom nouveau.
Il y en a beaucoup autour de Rodin, et ce serait une longue et pénible tâche que de les dissiper. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire. C’est son nom qu’ils entourent, et point l’oeuvre qui s’est développée bien au delà du nom et des limites de ce nom, qui est devenue anonyme, comme une plaine est anonyme, ou une mer qui n’est dénommée que sur la carte, dans les livres et chez les hommes, mais qui, en réalité, n’est qu’étendue, mou – vement et profondeur.
Cette oeuvre, dont il va être question ici, s’est accrue depuis des années, et grandit chaque jour comme une forêt, et ne perd pas une heure. On circule au milieu de ses mille objets, vaincu par la profusion des trou vailles et des découvertes, et l’on se retourne involontairement vers les deux mains d’où est sorti ce monde. On se rappelle combien petites sont des mains d’hommes, combien vite elles se fatiguent, et le peu de temps qu’il leur est donné de se mouvoir. On de mande celui qui domine ces mains. Quel est cet homme ?
C’est un vieillard. Et sa vie est de celles qui ne peuvent pas se raconter. Cette vie a commencé, et elle va aller jusqu’à atteindre un grand âge, et elle nous donne l’impression d’être passée depuis une éternité. Nous n’en savons rien. Elle doit avoir eu une enfance quelconque, une enfance, quelque part dans la pauvreté, obscure, cher cheuse et incertaine. Et cette enfance existe peut-être encore, car – dit saint Augustin – où s’en serait-elle allée ? Sa vie, peut-être, contient toutes ses heures passées ; les heures d’attente et d’abandon, les heures de doute et les longues heures de détresse : c’est une vie qui n’a rien perdu ni oublié, une vie qui se formait en s’écoulant. Peut- être ; nous n’en savons rien.
Mais ce n’est que d’une telle vie, croyons-nous, que la plénitude et l’abondance d’une telle action ont pu sortir ; seule une telle vie, où tout était simultané et éveillé, où rien n’était jamais révolu, peut demeurer jeune et forte, et s’élever toujours de nouveau vers de hautes oeuvres. Un temps viendra où l’on voudra inventer l’histoire de cette vie, avec des complications, des épisodes et des détails. Ils seront inventés. On racontera l’histoire d’un enfant qui oubliait souvent de manger parce qu’il lui semblait plus important d’en tailler avec un méchant couteau un morceau de bois vulgaire, et l’on situera dans ses jours d’adolescence quelque rencontre qui con tienne la promesse d’une grandeur future, une de ces prophéties qui sont toujours si popu laires et si touchantes. Par exemple, on pourrait parfaitement choisir les paroles que voici près de cinq cents ans, un moine quelconque a, paraît-il, prononcées à l’adresse du jeune Michel Colombe :
« Travaille, petit, regarde tout ton saoul et le clocher à jour de Saint-Pol, et les belles oeuvres des compagnons, regarde, aime le bon Dieu, et tu auras la grâce des grandes choses ».
Et tu auras la grâce des grandes choses… Peut-être un sentiment intime a-t-il parlé ainsi au jeune homme – mais infiniment plus bas que la voix du moine –, à l’un des carrefours de ses débuts. Car c’est là justement ce qu’il cherchait : la grâce des grandes choses. Il y avait là le Louvre, avec toutes ces claires choses de l’antiquité qui faisaient penser à des ciels du sud et à la proximité de la mer, de lourds objets de pierre qui, venus de cultures immémoriales, dureraient encore en de lointains temps à venir. Il y avait des pierres qui dormaient, et l’on sentait qu’elles s’éveilleraient à quelque jugement dernier, des pierres qui n’avaient rien de mortel, et d’autres qui portaient un mouvement, un geste, demeurés frais comme si l’on ne devait les conserver ici que pour les donner un jour à un enfant quelconque qui passerait.
Le nom de Rubens est connu dans le monde entier, et l’importance de l’oeuvre de cet illustre peintre fla mand du XVIIe siècle dans l’évolu tion de toute la culture européenne est universellement reconnue. Les oeuvres de cet artiste révèlent une telle spontanéité dans l’approche de la vie, une telle vigueur dans l’affirmation de ses valeurs les plus élevées, que les tableaux de Rubens sont de nos jours perçus comme d’authentiques phénomènes esthétiques.
Les musées de la Russie peuvent se vanter de pos séder une prestigieuse collection de travaux du grand maître, dont les pièces les plus remarquables sont réunies au Musée de l’Ermitage, qui abrite l’un des meilleurs ensembles de Rubens au monde. Trois ouvrages de Rubens, qui se trouvent à présent au Musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou, fai saient partie de la collection de l’Ermitage à la fin du XVIIIe siècle. Ce sont la Bacchanale et L’Apothéose de l’infante Isabelle, qui entrè rent à l’Ermitage en 1779 lors de l’achat de la col lection Walpole (Houghton Hall, Angleterre), ainsi que La Cène, acquise en 1768 avec la col lection Cobenzl (Bruxelles). En 1924 et 1930, ces trois tableaux furent transférés à Moscou.
Il semble qu’au XVIIe siècle le nom de Rubens ne jouissait pas de la célébrité qu’il connut plus tard. Et cela paraît étrange, car les contemporains célé braient Rubens comme l’« Apelle de nos jours ». Pourtant, dès les premières décennies qui suivirent la mort du maître en 1640, la gloire européenne qu’il connut de son vivant s’éteignit peu à peu. Cela est dû aux changements qui s’opérèrent dans l’ensemble de la situation politique de l’Europe de la seconde moitié du XVIIe siècle.
La première moi tié du siècle avait vu la formation des nations et des monarchies absolues. Et ce que Rubens apportait de nouveau dans l’art ne pouvait laisser indifféren tes les diverses couches sociales de nombreux pays européens aspirant à l’affirmation de leur conscien ce et de leur unité nationales.
Le peintre défendait les valeurs sensuelles du monde matériel, exaltait l’homme, lui donnant des dimensions cosmogoniques, célébrait l’héroïsme pathétique et la puissan te tension des forces physiques et morales de l’être humain, chantait l’élan engendré par une lutte so ciale ayant atteint son paroxysme. Tout cela enga geait dans le combat, servait à la fois d’étendard et d’idéal.
Mais dans la seconde moitié du siècle, la situation en Europe occidentale avait changé ; en Allemagne après la guerre de Trente Ans, en France après la Fronde, en Angleterre avec la Restauration, l’absolutisme triomphait. Le processus de scission de la société en partis conservateurs et progressistes s’accéléra, conduisit à une « remise en cause des valeurs » parmi les milieux conservateurs des clas ses privilégiées et donna naissance à une attitude ambiguë et contradictoire à l’égard de Rubens, atti tude qui se répandit dans l’Europe où, hier encore, retentissait la gloire du maître.
Telle est la raison pour laquelle, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, nous perdons la trace de nombreuses oeuvres de Rubens, qui avaient changé de propriétaires ; c’est pour cela aussi que son nom est si rarement mentionné dans les inventaires et les catalogues de l’époque. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que renaît l’intérêt pour les oeuvres de Rubens…
Au moment du regain d’intérêt des années 1960 pour l’Art Nouveau, les étudiants du monde entier décoraient leur chambre d’affiches de Mucha représentant des jeunes filles aux mèches folles et les pochettes de disque s’ornaient de reproductions aux couleurs psychédéliques de cet artiste. Depuis lors, le nom d’Alphonse Mucha est immanquablement associé à l’Art Nouveau et à la culture fin-de-siècle à Paris. Les artistes n’aiment guère être réduits à une catégorie et Mucha aurait été indigné que sa réputation dépende presque uniquement d’une période de sa carrière qui dura à peine dix ans et qu’il considérait comme mineure. Ce fervent patriote tchèque n’aurait pas non plus apprécié d’être classé comme artiste « parisien ».
Mucha naît le 14 juillet 1860 à Ivancice dans la province de Moravie. Celle-ci appartient alors au vaste empire des Habsbourg, qui commence cependant à se désagréger sous la pression du nationalisme naissant de diverses ethnies. L’année précédant la naissance de Mucha, les aspirations nationalistes de l’empire tout entier s’enhardissent avec la défaite de l’armée autrichienne en Lombardie, suivie de l’unification de l’Italie. Pendant les dix premières années de la vie de Mucha, le nationalisme tchèque trouve son expression dans les poèmes musicaux de Bedrich Smetana, que le musicien intitule collectivement Má Vlast (Ma patrie), ainsi que dans son grand opéra épique Dalibor (1868).
Le fait que le texte de Dalibor ait dû être écrit en allemand avant d’être traduit en tchèque est symptomatique de la lutte du nationalisme tchèque contre la domination culturelle de l’Allemagne sur l’Europe centrale. Dès sa plus tendre enfance, Mucha devait baigner dans l’atmosphère grisante et fervente du nationalisme slave qui imprègne Dalibor ainsi que Libuše, reconstitution de l’histoire tchèque composée par la suite par Smetana ; cette oeuvre servit d’ailleurs à l’inauguration du Théâtre national tchèque en 1881 et Mucha lui-même créa plus tard pour celle-ci décors et costumes.
Mucha, fils d’un huissier de la cour, grandit dans un milieu relativement modeste. Son propre fils, Jiri Mucha, devait plus tard faire remonter avec fierté au XVe siècle la présence de la famille Mucha dans la ville d’Ivancice. Malgré la pauvreté de sa famille, l’éducation de Mucha ne fut pas dépourvue de stimulation ni d’encouragement artistiques. Selon son fils Jiri :
« Il savait dessiner avant même de marcher, et sa mère lui attachait un crayon autourdu cou avec un ruban de couleur pour qu’il puisse dessiner en se traînant par terre. Chaque fois qu’il perdait son crayon, il se mettait à hurler. »
Sa première expérience artistique marquante fut sans doute liée à l’église Saint-Pierre, de style baroque, située dans la capitale locale de Brno, où il fut choriste dès l’âge de dix ans afin de financer ses études secondaires. Pendant les quatre années passées dans ce choeur, il rencontra souvent Leoš Janácek, son aîné de six ans, qui allait devenir le plus grand compositeur de sa génération ; l’un et l’autre auraient le souci de créer un art véritablement tchèque.
La théâtralité sensuelle du style baroque d’Europe centrale, caractérisé par une décoration luxuriante curviligne inspirée de la nature, nourrit certainement son imagination et lui inspira le goût des « senteurs et des cloches » ainsi que d’un bric-àbrac religieux, qu’il ne perdrait jamais. À l’apogée de sa gloire, son atelier était décrit comme « une chapelle profane… des paravents disposés de part et d’autre, qui auraient bien pu être des confessionnaux, et de l’encens brûlant en permanence. On pense plutôt à la chapelle d’un moine oriental qu’à l’atelier d’un artiste.
À la fin du XIXe siècle, l’Europe occidentale voit la naissance d’une grande vague de renouveau dans le domaine des arts décoratifs. Celle-ci a pour principal modèle la Nature. En effet, des ouvrages scientifiques décisifs paraissent dans les années 1860 (Haeckel, Dresser, Blossfeldt…) qui fournissent un répertoire de formes nouvelles et entraînent les arts dans un élan vers la modernité.
En parallèle, un goût pour l’art japonais se développe grâce à des figures comme Hayashi Tadamasa, marchand d’art venu s’installer en France et qui fait découvrir les productions japonaises à l’Europe occidentale. L’art japonais se fonde également sur l’observation de la Nature, interprétant de manière poétique les formes naturelles. Science et art s’unissent donc dans la deuxième moitié du XIXe siècle dans une même tendance au renouvellement.
Celle-ci va de pair avec un réveil artistique des nationalités partout en Europe occidentale. Il n’est plus question de se soumettre aux goûts du passé ou de l’étranger. Au contraire, chaque pays souhaite définir sa propre esthétique. De plus, le besoin de ramener la décoration, l’ornementation et l’objet d’utilité sur le devant de la scène se manifeste. Ces derniers avaient été bannis par les différentes tendances du siècle – « [ce siècle] n’a pas eu d’art populaire », affirme Émile Gallé en 1900 – mais ils reviennent en force à partir des années 1870-1880.
Ce qui avait semblé superflu aux prédécesseurs refait finalement son apparition dans le champ artistique. Tous ces éléments surgissent de manière simultanée en Europe occidentale et donnent lieu à la fin du XIXe siècle à la naissance de l’Art nouveau, dont le nom exprime parfaitement l’ambition. Toutefois, bien que les bases stylistiques en soient communes, le développement formel de l’Art nouveau varie d’un pays à l’autre.
L’Exposition universelle de 1889 à Paris montre l’étendue de son influence, touchant tous les domaines de création, mais aussi ses particularités nationales. En France, l’Art nouveau explose véritablement en 1895 lorsqu’apparaissent sur les murs les affiches réalisées par Alphonse Mucha pour Sarah Bernhardt dans le rôle de Gismonda. La même année en décembre, Siegfried Bing, marchand d’art d’origine allemande et naturalisé Français, ouvre une boutique entièrement consacrée à l’Art nouveau, concourant grandement à la diffusion du nouveau genre.
Dans le domaine des arts décoratifs, Émile Gallé, verrier, ébéniste, céramiste originaire de Nancy, s’illustre déjà dans le style Art nouveau depuis plus d’une décennie. Ce passionné de botanique a repris le commerce de faïences et verreries de son père en 1877. Il s’inspire librement de la Nature, mais aussi de l’art japonais qu’il collectionne. Il invente de nouvelles techniques, dépose des brevets et instaure le travail à la chaîne, hérité de la Révolution industrielle, dans son atelier. Lors de l’Exposition universelle de 1889, Gallé a déjà raflé trois prix pour ses créations, chacun dans un domaine différent, ce qui lui vaut le qualificatif d’homo triplex par le critique Roger Marx.
En 1901, il fonde l’Alliance Provinciale des Industries d’Art, aussi connue sous le nom d’École de Nancy, en compagnie de Victor Prouvé, Louis Majorelle et Eugène Vallin. Son but est de décloisonner les disciplines : il ne peut plus y avoir de distinguo entre arts majeurs et arts mineurs. La Nature est à la base de son esthétique, donnant naissance à des stylisations florales et végétales.
Sa diffusion doit, se faire de manière industrielle. Toutefois, après avoir atteint son apogée en 1900, l’Art nouveau décline rapidement. À rebours de ses revendications premières, il s’agit en fait d’un style luxueux et difficilement reproductible à grande échelle. L’Exposition universelle de Turin en 1902 montre qu’une page s’est tournée, laissant la place au mouvement artistique suivant, l’Art déco.
Degas: Lumière comme un tutu d’un ballet étudiant de l’Opéra de Paris
Exposition : The Art of pastel from Degas to Redon
Date : 15 Septembre 2017 − 8 Avril 2018
Lieu : Petit Palais
Dans le cercle des impressionnistes, c’est de Renoir que Degas fut le plus proche : tous deux préférèrent comme motif de leur peinture le Paris vivant de leur époque. Degas ne passa pas par l’atelier de Gleyre et fit probablement connaissance avec les futurs impressionnistes au café Guerbois. On ne sait pas exactement où il rencontra Manet. Peut-être furent-il présentés l’un à l’autre par leur ami commun, le graveur Félix Bracquemond ; ou peut-être Manet adressa-t-il pour la première fois la parole à Degas au Louvre, en 1862. Deux mois après, Degas exposait ses toiles avec le groupe de Claude Monet et devenait un des impressionnistes les plus fidèles : non seulement il donna ses oeuvres à toutes leurs expositions, sauf la septième, mais il participa aussi très activement à leur organisation. C’est singulier, car trop de choses le distinguaient des autres impressionnistes.
Edgar Degas venait d’un milieu totalement différent de celui de Monet, Renoir et Sisley. Son grand-père, René-Hilaire de Gas, négociant en grains, avait été forcé de fuir en Italie en 1793, pendant la Révolution. Là-bas, ses affaires prospérèrent. Ayant fondé une banque à Naples, il épousa une jeune fille issue d’une riche famille génoise. Degas préféra écrire son nom simplement Degas, bien qu’il gardât avec plaisir ses relations avec les nombreux parents de la famille Gas en Italie. Il était doué d’une constance enviable et resta toute sa vie dans le quartier où il était né, méprisant et n’aimant pas la rive gauche, peut-être parce que c’était là qu’était morte sa mère.
En 1850, Edgar Degas termina ses études au lycée Louis-le-Grand et, en 1852, il obtint un diplôme en droit. Comme sa famille était riche, sa vie de peintre se déroula beaucoup plus facilement que celle des autres impressionnistes. En 1853, il commença à faire son apprentissage à l’atelier de Louis-Ernest Barrias et, à partir de 1854, il devint l’élève de Louis Lamothe, qui ne jurait que par Ingres, et transmit son adoration pour ce maître à Edgar Degas. Le père de Degas ne s’opposa pas au choix de son fils ; au contraire, lorsque après la mort de sa femme ils emménagèrent rue Mondovi, il y aménagea au quatrième étage un atelier pour Edgar d’où on découvrait, par-dessus les toits, une vue de la place de la Concorde.
Le père d’Edgar était lui-même un amateur de peinture et un connaisseur. Il présentait son fils à ses nombreux amis. Parmi eux figurait Achille Deveria, conservateur du Cabinet des Estampes à la Bibliothèque nationale, qui autorisa Edgar à copier les dessins des maîtres anciens : Rembrandt, Dürer, Goya, Holbein. Son père le présenta également à une famille de ses amis, les collectionneurs Valpinçon, chez qui le futur peintre rencontra le grand Ingres. Toute sa vie, Degas se souvint, comme on se souvient d’une prière, du conseil d’Ingres : « Faites des lignes (…) Beaucoup de lignes, soit d’après le souvenir, soit d’après nature. » (Paul Valéry, Écrits sur l’art, Paris 1962).
À partir de 1854, Degas se rendit régulièrement en Italie, d’abord à Naples, où il fit connaissance de ses nombreux cousins, puis à Rome et Florence, où il copia inlassablement les maîtres anciens. Les dessins et esquisses, qu’il y fit, révèlent des préférences déjà marquées : Raphaël, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Mantegna, mais aussi Benozzo Gozzoli, Ghirlandaio, Titien, Fra Angelico, Uccello, Botticelli. Puis il se rendit à Orvieto pour copier, dans la cathédrale, les fresques de Luca Signorelli et visita Pérouse et Assise. Le feu d’artifice de la peinture italienne l’éblouit. Degas eut de la chance, comme personne d’autre.
On ne peut qu’être émerveillé de la sensibilité dont le père d’Edgar faisait preuve vis-à-vis de la vocation de son fils, de la perspicacité avec laquelle il comprenait son objectif, et de la manière dont il savait encourager le jeune peintre. « Tu as fait un immense pas dans ton art, ton dessin est fort, le ton de ta couleur est juste » écrivait-il à son fils. « Tu n’as plus à te tourmenter, mon cher Edgar, tu es en excellente voie. Calme ton esprit et suis par un travail paisible mais soutenu et sans mollir ce sillon qui t’est ouvert. Il est à toi, il n’est à personne. Travaille tranquillement en te maintenant dans cette voie » (J. Bouret, Degas, Paris, 1987).
Les Préraphaélites: La Fraternité Révolutionnaire: Retour au Moyen Age
Exposition: Reflections: Van Eyck and the Pre-Raphaelites
Date: Jusqu’au 2 avril 2018
Lieu: Galerie nationale de Londres
Jusqu’en 1848, en Angleterre, on admirait, mais on ne s’étonnait pas. Reynolds et Gainsborough étaient de grands maîtres, mais ils faisaient de la peinture du XVIIIe siècle et non de la peinture anglaise au XVIIIe siècle. Ce furent leurs modèles, leurs ladies et leurs misses, qui donnèrent un tour anglais à leurs figures : ce ne fut pas leur pinceau. Leur esthétique était celle de toute l’Europe au temps où ils vivaient. En parcourant les salles desmusées de Londres, on voyait d’autres tableaux, mais non une autre manière de peindre, ni de dessiner, ni même de composer et de concevoir un sujet.
Quant aux autres peintres, ils faisaient, avec plus ou moins d’habileté, la peinture qu’on faisait partout. On s’intéressait une minute à leurs chiens, à leurs chevaux, à leurs politiciens de village, à toutes ces petites scènes de genre, d’intérieur et de cuisine, qu’ils traitaient moins bien que les Hollandais. Une couleur glabre, lustrée, plaquée sur du bitume, fausse sans vigueur, confite sans finesse, trop noire dans les ombres, trop brillante dans les clairs. Un dessin mou, hésitant, vaguement généralisateur. Et l’on songeait, en approchant de la redoutable date 1850, au mot prononcé par Constable en 1821 : « Dans trente ans, l’art anglais aura vécu ».
Et cependant, si l’on regarde bien, deux caractéristiques étaient là, sommeillantes. D’abord, l’intellectualité du sujet. De tout temps, les Anglais se préoccupèrent de choisir des scènes intéressantes, voire un peu compliquées, où l’esprit avait autant à saisir que les yeux, où la curiosité était piquée, la mémoire mise en jeu, le rire ou les larmes provoqués par une histoire muette. Déjà s’affirmait cette idée, d’ailleurs bien lisible chez Hogarth, que le pinceau était fait pour écrire, pour raconter, pour instruire, non simplement pour montrer.
Seulement, ce qu’il racontait avant 1850, c’était des actions mesquines ; ce qu’il exprimait, c’était de petits travers, des ridicules ou des sentiments bornés ; ce qu’il en soignait, c’était des articles du code de civilité. Il jouait le rôle de ces cahiers d’images qu’on donnait aux enfants pour leur montrer où conduisait la paresse, le mensonge ou la gourmandise. L’autre qualité était l’intensité de l’expression. Quiconque avait vu des chiens de Landseer ou tout simplement dans les journaux illustrés anglais, quelques unes de ces études d’animaux où l’habitus corporis est serré de si près, l’expression si recherchée, le tour de tête si intelligent, si différent selon que l’animal attend, craint, désire, interroge son maître ou réfléchit, pourra aisément comprendre ce que signifie ce mot : intensité d’expression.
Mais, de même que l’intellectualité du sujet ne se voyait, avant 1850, que dans des sujets qui n’en valaient pas la peine, de même l’intensité d’expression n’était obstinément recherchée et heureusement atteinte que dans les représentations des figures animales. La plupart des figures humaines avaient des attitudes banales, sans modalité expressive, ni vérité spécifique, ni précision pittoresque, mises sur des fonds imaginés à l’atelier, accommodés de « chic » à la sauce académique, d’après des principes généraux, excellents en soi, mais mal compris et paresseusement appliqués.
Tel était l’art en Angleterre, lorsque Ford Madox Brown revint d’Anvers et de Paris avec une révolution esthétique dans ses cartons. Il ne s’agit pas de dire que toutes les tendances qui prévalèrent depuis cette époque, toutes les individualités qui se développèrent, sortirent de cet artiste, ni qu’au moment où il débarqua, personne parmi ses compatriotes ne sentait, ni ne rêvait les mêmes choses que lui.
Mais, si l’on songe qu’en 1844, lorsque fut exposé Guillaume le Conquérant, rien de ces choses nouvelles n’était apparu, que Rossetti avait seize ans, Hunt dix-sept, Millais quinze, Watts vingt-six, Leighton quatorze, Burne-Jones onze et qu’aucun de ces maîtres n’avait, par conséquent, accompli sa formation ; si l’on songe ensuite que la façon de composer, de dessiner et de peindre inaugurée par Madox Brown se retrouve, cinquante ans après sa première oeuvre, dans les tableaux de Burne-Jones, après être passée par ceux du maître de Burne-Jones, Rossetti, il faut bien reconnaître à l’exposant de 1844 le rôle décisif du semeur, là où les autres n’avaient fait que labourer avant l’heure ou moissonner une fois la récolte venue.
Exposition : Toulouse-Lautrec and the Pleasures of the Belle Époque
Date : 8 Février – 6 Mai 2018
Lieu : Canal de Isabel II Foundation , Madrid.
Exprimant ses désillusions, sur une illustration de 1910 de lÊhebdomadaire politico-satirique Simplicissimus, un peintre méconnu s’exclame : « Si j’étais Français, mort ou pervers ou mieux encore, tout cela à la fois alors oui, il ferait bon vivre ! »
On y voit l’artiste qui, au milieu des turbulences de la vie familiale et des cris d’enfants, tente de s’adonner à son fluvre dans un atelier jonché de jouets éparpillés par terre et traversé par une corde à linge sur laquelle sa femme étend une lessive.
L’idée que le génie et les contingences de la vie quotidienne ne sont guère conciliables n’est certes pas neuve, mais les propos tenus ici par le peintre illustrent le rôle qu’ont joué dans l’imaginaire populaire les anecdotes entourant la vie dissolue et la mort prématurée des deux peintres Henri de Toulouse-Lautrec et Paul Gauguin. Lautrec, mort en 1901 à l’âge de trente-sept ans et Gauguin, mort en 1903 à cinquantecinq ans, ainsi que Vincent van Gogh, d’origine hollandaise et Français d’adoption, contribuèrent plus que bien d’autres à forger l’idée que l’on se fait généralement de l’artiste du XXe siècle.
S’il est vrai que la conception de l’artiste en tant que marginal autodestructeur atteint son apogée à la fin du XIXe siècle avec Toulouse-Lautrec, Gauguin et Van Gogh, on peut néanmoins retrouver son origine à la fin du XVIIIe siècle, période où des bouleversements politiques, culturels et économiques modifièrent la façon dont les artistes percevaient leur propre personne et leur relation au monde qui les entourait. En 1765, Maurice Quentin de la Tour, peintre pastelliste de l’Ancien Régime, réalisa un autoportrait où il apparaît en courtisan confiant, arborant une perruque poudrée, un gilet de velours et un sourire engageant.
Quant à Chardin, s’il est moins suffisant et habillé de façon plus pratique, il se représenta néanmoins en membre bienveillant et satisfait d’une société plus modeste. Toutefois, vingt ou trente ans plus tard, ce sourire bienveillant avait disparu des visages de la nouvelle génération de jeunes artistes comme Jacques-Louis David, Johann Heinrich Füssli ou William Turner. Ils étaient de jeunes gens ayant une vie sentimentale compliquée, voire même déséquilibrée qui, du haut de leur autoportrait, fixaient le spectateur d’un regard farouche et provocateur.
La transition entre les jeunes gens en colère de l’époque romantique et les peintres maudits de la fin du XIXe siècle passe par Gustave Courbet qui, des années 1840 aux années 1850, par une série dÊautoportraits, créa le mythe de lÊartiste en tant que marginal, mythe qui atteignit son summum dans le célèbre tableau Bonjour M. Courbet.
Par l’aspect peu conventionnel et bohémien de Courbet, la façon arrogante et distinguée dont il se tient en saluant son mécène, un riche bourgeois, le tableau tourne en ridicule les usages de la société.
William Morris: Un motif est soit vrai soit faux…Il n’est pas plus fort que son point le plus faible
Exposition: William Morris and the Arts & Crafts movement in Great Britain
Date: 22 Février − 20 Mai 2018
Lieu: Musée national d’art de Catalogne | Barcelone Espagne
William Morris est né le 24 mars 1834 à Walthamstow. Rien dans son enfance ne laissait penser qu’il grandirait pour devenir un être d’exception. Son père était l’associé d’une maison de change prospère et la famille continua à vivre une situation confortable même après son décès en 1847. L’enfance de Morris fut heureuse sans être pour autant exceptionnelle.
A l’âge de treize ans, il fut envoyé à l’université de Marlborough. Il s’agissait à l’époque d’une nouvelle école quelque peu laxiste sur la discipline. Cela représenta une chance pour lui dans la mesure où il n’avait pas besoin de se dédier exclusivement aux études. Ce n’était pas non plus un jeune homme paresseux et sans objectifs qui avait besoin d’occuper son esprit avec des jeux pour être sage.
A Marlborough, se trouvaient une forêt où il pouvait se promener et une riche bibliothèque. Il n’avait pas appris de métier pendant son enfance, mais ses doigts étaient aussi agiles que son esprit. Pour ne pas rester inactif, il fabriquait continuellement des objets pendant qu’il occupait son esprit à raconter à ses camarades d’école des histoires d’aventures interminables. Là-bas, il connut et se sentit attiré par le High Church Movement et, lorsqu’il finit ses études en estimant avoir acquis ce qu’il considérait comme la somme de toutes les connaissances possibles sur le style gothique anglais, il partit pour l’université d’Exeter (Oxford) avec l’intention de rentrer dans les ordres.
Au trimestre du printemps 1853, Morris poursuivit son éducation à Oxford comme il l’avait fait à l’école. Oxford, à l’époque, lui paraissait une ville désordonnée, frivole et pédante. Selon un ami qu’il se fit lors de son séjour là-bas, Morris aurait pu vivre une vie assez solitaire à Oxford. Cet ami était Edward Burne-Jones, un étudiant de première année de l’école primaire King Edward, à Birmingham, déjà très prometteur en tant qu’artiste, mais qui, comme Morris, avait l’intention de rentrer dans les ordres.
Dans ce nouveau monde plein de gens, de choses et d’idées, Morris ne fut ni influencé ni attiré par des modes passagères. Il semblait déjà savoir par instinct ce qu’il voulait apprendre et où il pourrait appliquer ses apprentissages.
Au cours des longues vacances de 1854, il partit à l’étranger, pour la première fois, en France et en Belgique septentrionale, où il vit les plus grands travaux d’architecture gothique ainsi que les tableaux de Van Eyck et de Memling. Morris dit plus tard que la première fois qu’il vit Rouen fut le plus grand plaisir qu’il ait éprouvé de sa vie. Van Eyck et Memling restèrent toujours ses peintres préférés, sans aucun doute parce que leur art était toujours l’art qui existait au Moyen Age, pratiqué avec un nouveau savoir-faire et une nouvelle subtilité.
Au cours de la même année, il hérita d’une somme de 900 livres par an. Il devint ainsi son propre maître et sa liberté le poussa à en faire bon usage.
Morris et ses amis avaient la conviction de vouloir opérer un grand changement sur le monde. Ils avaient de vagues notions de ce qui était nécessaire pour fonder une fraternité, voyaient que la condition des pauvres était terrible, souhaitaient agir tout de suite et, ne sachant pas précisément ce qu’ils devaient faire, ils décidèrent de commencer à publier une revue. Dixon proposa cette idée à Morris pour la première fois en 1855 et tout le groupe d’amis en fut enchanté. Puisqu’ils avaient des connaissances à Cambridge, ils les invitèrent également à participer à la revue.
Lorsque celle-ci fut publiée, elle fut appelée The Oxford and Cambridge Revue alors qu’elle n’avait été quasiment écrite que par des hommes d’Oxford. Le premier exemplaire fut publié le 1er janvier 1856 et il y eut encore douze autres exemplaires publiés mensuellement. Morris finança et écrivit dix-huit poèmes, des romances et des articles. Aucun autre collaborateur n’était aussi doué que lui, sauf Dante Gabriel Rossetti, que Burne-Jones avait rencontré à la fin de 1855 et qui admirait déjà la poésie de Morris.
Masaccio, Die Tributzahlung, ca. 1428. Fresko, 255 x 598 cm. Brancacci-Kapelle, Santa Maria del Carmine, Florenz.
Loeuvre d’Andrea Mantegna (né en 1431 environ, mort en 1506) suscite depuis longtemps une profonde admiration. Du brillant illusionnisme de ses premiers travaux à la puissance narratrice de ses oeuvres tardives, la peinture de Mantegna est restée vivante et héroïque, théâtrale et chargée d’émotion. On y retrouve d’étonnants détails : petits cailloux, brins d’herbe, veines, cheveux sont représentés avec un soin extrêmement méticuleux.
La Sainte Famille avec sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste enfant, v. 1485-1488.Tempera et or sur toile, 62,9 x 51,3 cm. Kimbell Art Museum , Fort Worth.
D’autres éléments banals de la vie quotidienne apparaissent même dans ses grandes oeuvres narratives, comme une lessive qui sèche sur un fil ou des maisons décrépites. Mantegna s’est fortement intéressé à la nature humaine et aux problèmes de la pensée morale. Mais ce qui frappe sans doute le plus dans son oeuvre, ce sont les innombrables références à l’Antiquité. Aucun peintre du XVe siècle n’a aussi bien assimilé et si abondamment représenté dans son oeuvre les costumes, les plis de draperies, les inscriptions, l’architecture, les sujets et l’attitude morale de la civilisation classique. Mantegna voyait le passé gréco-romain comme un héritage vivant et familier, porteur d’une certaine nostalgie, et cette vision s’est opposée à celle du classicisme froid des siècles suivants.
L’Antiquité était pour lui proche et palpable, et il a constamment cherché à la faire revivre en couleur dans ses toiles. C’est sa passion pour ce passé classique disparu qui lui a valu d’être reconnu à son époque, car son oeuvre était vivement appréciée par ceux de ses contemporains de la Renaissance qui partageaient sa quête visionnaire d’un renouveau des qualités morales et du naturalisme caractéristiques de l’art antique.
La Descente aux Limbes, v. 1490.Tempera sur bois, 38,2 x 42,3 cm.
Collection privée.
Mantegna a occupé une place de premier plan dans la rénovation culturelle qui s’est opérée à son époque et qu’on appelle la Renaissance. Au XVe siècle, l’Antiquité offrait tout un univers à redécouvrir. Elle permettait de se démarquer du monde médiéval, reclus dans sa pensée scolastique et sa théologie chrétienne.
Sandro Botticelli, Saint Augustin dans son cabinet d'étude, 1494. Tempera sur bois, 41 x 27 cm. Musée des Offices, Florence.
Le classicisme signifiait à l’époque la libération de la pensée et les joies de l’étude littéraire. Les écrivains et artistes gréco-romains avaient pu librement jouir des plaisirs matériels, liberté que prônaient Mantegna et nombre de ses contemporains. Les hommes de la Renaissance avaient trouvé des ancêtres spirituels qui partageaient leurs idées sur le vice et sur la vertu, et dont la sensibilité profane appréciait un art naturaliste, idéalisé dans sa perfection formelle et ses proportions harmonieuses. Mantegna peignait ses visions classiques pour des hommes et des femmes enthousiastes, des dilettantes au sens premier du terme qui découvraient avec délices ces nouveautés. Sa vie et son oeuvre ont contribué à l’atmosphère d’exaltation et de satisfaction qui a caractérisé en grande partie la culture de la Renaissance.
Masolino, La Guérison de l'infirme et la Résurrection de Tabithe, 1426-1427.Fresque, 255 x 588 cm (fresque entière). Chapelle Brancacci , église Santa Maria del Carmine, Florence.
Des érudits modernes évitent d’utiliser le mot « Renaissance », et plutôt que de voir dans cette période une ère de confiance en l’homme et la glorieuse renaissance de certaines valeurs, ils décrivent la culture italienne des années 1400 à 1600 comme soumise à des intérêts conflictuels, comme un monde d’indécisions et de contradictions dans lequel hommes et femmes « négociaient » prudemment leur place dans la société. Certains écrits de l’époque révèlent cependant une mentalité moins hésitante et moins craintive que les recherches modernes pourraient nous le faire croire.
Le Martyre de saint Christophe, v. 1448-1457. Fresque. Chapelle Ovetari , église des Eremitani, Padoue.
Certes, la Renaissance a connu des crises politiques et des divisions sociales. Il faut cependant garder à l’esprit le contexte de l’époque : les grands mécènes, les intellectuels et les artistes italiens avaient le sentiment de vivre une ère de renouvellement et s’appliquaient énergiquement à faire évoluer les esprits. Dans le domaine des arts visuels, les écrivains d’art de la Renaissance tels que Lorenzo Ghiberti, Leon Battista Alberti, et Giorgio Vasari, voyaient le Moyen Age comme une période sombre et considéraient en revanche leur époque comme celle de la connaissance et du progrès humain. Ils admiraient les travaux des Grecs et des Romains, et en appelaient non pas à imiter banalement l’Antiquité, mais à embrasser les idéaux et les valeurs (la raison comme l’acceptation d’une loi naturelle et la modération de la morale) qui avaient fait toute la grandeur des sociétés antiques avant le déclin culturel qui leur succéda.
Quand les soldats allemands venaient dans mon studio et regardaient mes photos de Guernica, ils me demandaient: 'As-tu fait ça?'. Et je dirais: "Non, vous l'avez fait."
Exposition: Guernica
Date: du 27 mars au 29 juillet 2018
Lieu: Musée national Picasso | Paris, France
Quand les soldats allemands venaient dans mon studio et regardaient mes photos de Guernica, ils me demandaient: 'As-tu fait ça?'. Et je dirais: "Non, vous l'avez fait." - Pablo Picasso
L’événement historique sanglant qui émut Picasso et l’inspira pour ce chef-d’oeuvre (commandé par le gouvernement espagnol républicain et réalisé en un mois), eut lieu peu de temps avant l’Exposition internationale à Paris en 1937, durant laquelle il fut présenté au public. Les images et les sentiments liés au bombardement de plus de trois heures et la destruction complète de la ville basque de Guernica par des avions nazis sont encore dans tous les esprits. La brutalité tranchante de l’oeuvre monochrome est controversée par son message politique réactionnaire, mais aussi en tant qu’oeuvre d’art. L’utilisation du noir et blanc doit provenir des photographies de guerre comme celles de Robert Capa. Malgré le symbolisme octroyé aux différents éléments depuis la réalisation de cette peinture, Picasso demeura toujours extrêmement secret concernant les sens cachés de Guernica.
GUERNICA, ÉTAPE 1, 1937. Photograph by Dora Maar
GUERNICA, ÉTAPE 3, 1937. Photographie de Dora Maar[/caption]
Nous avons très rarement l’occasion d’observer les différentes étapes d’un chef-d’oeuvre. Dora Maar (maîtresse de Picasso) nous documente sur l’activité frénétique de l’artiste durant le mois qu’il passe à la réalisation de l’oeuvre qui allait devenir Guernica. Les photographies de ces deux étapes montrent que Picasso invente certaines parties de la toile au fur et à mesure. Notons dans la première étape, le poing tendu qui occupe l’espace et qui sera par la suite remplacé par la tête d’un cheval. Même lorsque Picasso commence à appliquer de la couleur sur la toile dans la troisième étape, on peut distinguer des éléments qui seront modifiés dans la version finale.
Le taureau est une autre figure aisément reconnaissable dans Guernica, mais aussi dans l’Œuvre complète de Picasso. De nombreux écrivains l’appréhendent comme un symbole de l’Espagne, cependant, Picasso semble avoir précisé que le taureau, dans cette oeuvre, représente la brutalité du fascisme.
MÈRE ET ENFANT MORT (IV) (ÉTUDE PRÉPARATOIRE POUR GUERNICA), 1937. Graphite, gouache et crayon de couleur sur toile à calquer, 23,2 x 29,3 cm Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía , Madrid
Alors que l’aspect le plus puissant et caractéristique de Guernica réside dans le traitement chromatique fortement réduit, Picasso parvient à atteindre un pathos équivalent dans ses études colorées. C’est le cas notamment avec cette Mère et enfant mort, où Picasso a même ajouté de vrais cheveux à la figure féminine. La composition serrée et les traits forts et nerveux traduisent l’urgence dramatique de la toile.
LA FEMME QUI PLEURE (III), (ÉTUDE PRÉPARATOIRE POUR GUERNICA)
1937. Graphite, gouache et crayon de couleur sur toile à calquer, 23,2 x 29,3 cm Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid
De toutes les images iconiques qui composent Guernica, la plus dramatique est peut-être celle de la femme pleurant et criant de détresse, tenant son enfant mort dans les bras. Picasso réalise de nombreux tableaux et dessins sur ce thème. Bien que l’étude ici présente de La Femme qui pleure ne ressemble pas à celle que l’on peut voir dans Guernica, elle nous donne un aperçu des différentes possibilités auxquelles Picasso a pensé juste avant d’achever définitivement son oeuvre. Ces études témoignent aussi des intentions originales de l’artiste d’inclure de la couleur dans son tableau.
Une image n'est rien d'autre qu'un pont entre l'âme de l'artiste et celle du spectateur
Exhibition: Eugène Delacroix (1798-1863)
Date: 28 March - 23 July 2018
Venue: Musée du Louvre
La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830), 1830. Huile sur toile, 260 x 325 cm. Musée du Louvre, Paris
Au mois de septembre 1792, le département de la Marne élut, au nombre de ses députés à la Convention nationale, un citoyen qui s’était fait remarquer par son dévouement à la République « une et indivisible », par ses déclarations contre les prêtres, et par tout ce qu’on appelait alors le patriotisme. Cet homme se nommait Charles Delacroix. C’est lui qui, notamment, avait tenu à équiper à ses frais la moitié d’un bataillon, son âge ne lui permettant pas de marcher lui-même à la défense du territoire, n’étant alors pas loin d’atteindre son douzième lustre. Il prit, par ailleurs, place au milieu des hommes de la Plaine. Mais, jusqu’au 9 Thermidor (27 juillet), il ne parut qu’une seule fois à la tribune, et ce fut à l’occasion du procès de Louis XVI.
Chevaux arabes se battant dans une écurie, 1860. Huile sur toile, 64,5 x 81 cm.Musée du Louvre, Paris
Rejetant l’appel au peuple, il vota, sans sursis, la mort du roi. De nature peureuse, de caractère nul fourvoyé dans cette mêlée ardente, il grossit le nombre des personnages qui amenèrent autant de maux par leur faiblesse que d’autres par leurs crimes, gens trop communs, à cette époque déplorable, que l’histoire accuse, avec raison, d’avoir sacrifié, tour à tour, le roi aux Girondins, et la Gironde à la Montagne.
Dante et Virgile aux enfers, dit La Barque de Dante, 1822. Huile sur toile, 189 x 241 cm. Musée du Louvre, Paris
Pour faire oublier le sang qu’ils avaient laissé répandre, les conventionnels de la Plaine, ou les « crapauds du Marais » comme les nommait Danton, devinrent, à la chute de Robespierre, les principaux moteurs de la réaction thermidorienne. Le député de la Marne fut alors envoyé en mission dans les Ardennes. Aussi s’associa-t-il aux tendances de son parti, jusqu’au jour où il observa que la direction du mouvement réactionnaire échappait aux républicains modérés pour passer aux mains des aristocrates et des royalistes. On le vit reprendre alors sa vieille rigueur démocratique. Charles Delacroix s’opposa de tout son pouvoir à la restitution des biens confisqués aux victimes de la hache révolutionnaire, et renouvela ses anciennes diatribes contre le petit nombre de ministres de l’Évangile qui n’avaient point été décapités.
Élu au conseil des Cinq-Cents, il fut, quelques mois après, honoré du portefeuille des relations extérieures. Il le conserva jusqu’au milieu de l’année 1797, puis l’ambassade de Hollande lui fut offerte comme fiche de consolation. Les temps avaient changé. Après s’être levé du côté de l’Égypte, l’étoile de Bonaparte illuminait la France et lui annonçait une ère nouvelle. Notre conventionnel abjura ses doctrines farouches. Il suivit l’exemple de son pays, et salua le jeune capitaine qui se faisait son maître. Charles Delacroix fut nommé à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Il l’échangea plus tard contre celle du chef-lieu de la Gironde. Ce noble proconsul, sous l’habit brodé du fonctionnaire impérial, mourut en 1805, à Bordeaux, non sans avoir donné naissance, sept ans auparavant, à celui qui deviendrait un des peintres majeurs du XIXe siècle.
Prise de Constantinople par les croisés, dit L’Entrée des croisés à Constantinople, 1840. Huile sur toile, 411 x 497 cm. Musée du Louvre, Paris.
Eugène Delacroix naquit à Charenton-Saint-Maurice, près de Paris, le 7 floréal an VI (26 avril 1798). Sa première enfance fut en proie à nombre d’événements sinistres, dont le moindre, si le génie des arts n’avait eu sur lui des desseins mystérieux, aurait suffi pour le renvoyer dans les limbes.
La Mer vue des hauteurs de Dieppe, 1852-1854. Huile sur carton collé sur bois, 36 x 52 cm. Musée du Louvre, Paris
À Marseille tout d’abord, où le premier consul venait d’envoyer M. Delacroix père et sa famille, une bonne, infiniment trop sensible aux Amours du chevalier de Faublas, oublia d’éteindre un soir la bougie, complice de sa passion pour la lecture, qui brûlait entre elle et le berceau d’Eugène. Des flammèches s’en échappèrent et mirent le feu au matelas du petit, puis à la couche de sa gardienne. Réveillée en sursaut par l’incendie qui commençait à lui échauffer les bras et le visage, la domestique réussit à éteindre le feu et sauva des flammes le malheureux enfant.
Lieu: Fondation Canal de Isabel II, Madrid. Musée national Picasso | Paris, France
PAIN ET COMPOTIER AUX FRUITS SUR UNE TABLE, 1908-1909 Huile sur toile, 163,7 x 132,1 cmKunstmuseum Basel, Bâle
Bien que depuis son enfance Picasso menât, selon sa propre expression, une « vie de peintre » et que pendant quatre-vingts ans, il s’exprimât justement dans les arts plastiques de par l’essence même de son génie, il diffère de ce qu’on entend généralement par la notion d’« artiste-peintre ». Peut-être serait-il plus exact de le considérer comme « artiste-poète », car le lyrisme, une mentalité entiè- rement affranchie de tout ce qui est prosaïque et ordinaire, et le don de transformer métaphoriquement la réalité sont tout aussi propres à sa vision plastique qu’ils le sont au monde imagé d’un poète.
D’après un témoignage de Pierre Daix, Picasso lui- même « s’est toujours considéré comme un poète qui s’exprimait plus volontiers par des dessins, des peintures et des sculptures ».1 En fut-il toujours ainsi ? Une précision est nécessaire. Pour ce qui est des années 1930, lorsqu’il se met à composer des vers, et puis des années 1940 et 1950, quand il fait des pièces de théâtre, cela va de soi. Mais ce qui est hors de doute, c’est que Picasso fut toujours, dès le début de sa carrière, « peintre parmi les poètes, poète parmi les peintres ».
Picasso éprouvait un impérieux besoin de poésie, alors que lui-même possédait un charme attractif pour les poètes. Lors de sa première rencontre avec Picasso, Apollinaire fut frappé par la façon fine et judicieuse avec laquelle le jeune Espagnol saisissait, et cela par-delà la « barrière lexicale », les qualités des poésies récitées. Sans craindre d’exagérer, on peut dire que si les contacts de Picasso avec les poètes tels que Jacob, Apollinaire, Salmon, Cocteau, Reverdy, ou encore, Éluard, ont marqué successi- vement chacune des grandes périodes de son art, ce dernier a considérablement influencé, comme important facteur novateur, la poésie française (mais pas seulement) du XXe siècle.
Considérer l’art de Picasso, tellement visuel, spectacu- laire et, à la fois tellement aveuglant, obscur et énigma- tique, comme la création d’un poète, la propre attitude de l’artiste nous y invite. Ne disait-il pas : « Après tout, tous les arts sont les mêmes ; vous pouvez écrire un tableau avec des mots tout comme vous pouvez peindre les sensations dans un poème. »3 Ailleurs, il disait même : « Si j’étais né Chinois, je n’aurais pas été peintre, mais bien écrivain. J’aurais écrit mes tableaux. » Pourtant, Picasso est né Espagnol et a commencé à dessiner, dit-on, avant qu’il n’ait appris à parler. Dès son plus jeune âge, il éprouvait un intérêt inconscient pour les outils de travail du peintre ; tout petit, il pouvait des heures entières tracer sur une feuille de papier des spirales dont le sens n’était compréhen- sible que par lui seul, sans que, pour autant, elles en fussent privées ; étranger aux jeux de ses camarades, il ébauchait sur le sable ses premiers tableaux. Cette précoce manifestation de la vocation présageait un don extraordinaire.
DEUX FEMMES COURANT SUR LA PLAGE, 1922 Gouache sur contreplaqué, 32,5 x 41,1 cmMusée Picasso Paris, Paris
La toute première phase de la vie, préverbale et préconsciente, se passe sans dates ni faits : on est comme dans un demi-sommeil, au gré des rythmes tant inhérents à l’organisme que de ceux qui viennent de l’extérieur, charnels et sensoriels. La pulsation du sang et la respiration, la chaude caresse des mains, le balancement du berceau, l’intonation des voix, voilà ce qui en constitue alors le contenu. Puis, tout à coup, la mémoire s’éveille, et deux yeux noirs suivent le déplacement des objets dans l’espace, prennent possession des choses désirées, expriment des réactions émotionnelles.